Serpentine "Je n'utilise pas le terme in situ pour les sculptures. Même si elles sont réalisées dans le lieu, elles conservent néanmoins une certaine autonomie. Je recherche une alchimie, et pour que cette alchimie existe, il faut adapter le projet à l'espace qui l'accueille, il faut provoquer une rencontre. Je travaille beaucoup par série, c'est- à- dire que je présente plusieurs fois le même type de sculptures, le piano a été fait quatre fois, les cages trois...
C'est pour cette raison qu'on ne peut pas parler de travail in situ au sens d'entière création pour le lieu. L'armature est déjà présente, il faut l'ajuster, lui donner forme.
Je conçois la sculpture comme un morceau de musique. Un musicien peut jouer tous les soirs le même morceau, raconter la même histoire; pourtant, chaque représentation est différente, il y a une adaptation de la partition, il faut à chaque fois recommencer le travail. C'est pour cette raison que je détruis, ou plutôt que je fais détruire les sculptures et que je peux les refaire sans que ce soit exactement la même. Je les présente d'ailleurs souvent “en couple” pour accentuer la répétition et le matériau que j'utilise; le carton, à priori fragile, est coupé, puis collé, donc ni démontable, ni transportable tel quel.
[...]
Au départ, j'imaginais mes sculptures comme des sortes de fantômes. Je ne voulais pas qu'elles soient assimilées à des objets fonctionnels, que l'on puisse les utiliser. L'œuvre intitulée Serpentine que j'ai réalisée en 1997 évoque bien des fauteuils, mais le visiteur ne peut s'y asseoir, puisque d'une part seul le contour de l'objet est matérialisé, et d'autre part, malgré son apparence de solidité, le matériau utilisé, le carton, empêche toute assise. De plus, il y a dans cette oeuvre un jeu avec les colonnes présentes dans le lieu, qui évoque plus une étreinte ou une chorégraphie qu'une succession de mobilier. Je préférais que le spectateur puisse “se projeter” dans l'oeuvre. Et de plus en plus, c'est le squelette de l'objet qui m'intéresse, sa structure, et plus précisément la structure qui supporte une enveloppe, qui, en tant que telle, montre toutes ses possibilités, tout ce qu'elle peut accueillir sans pour cela être fonctionnelle [...] ...on pourrait même y voir de l'absurde, comme utiliser du carton pour faire des étais. Il est vrai que la structure m'intéresse non comme un patron ou un modèle, mais au contraire parce qu'elle est une base pour que chacun puisse y modeler en imagination un corps, une chair, une histoire. Par ailleurs, je n'aime pas ce qui est fixe, immuable, je laisse une place au hasard, je me donne le droit de «rater» les choses, de les refaire. Je ne sais jamais
exactement ce que va donner formellement la sculpture avant qu'elle ne soit installée.

Ce qui nous rapproche, outre nos préoccupations artistiques, c'est la situation dans laquelle on place le spectateur face à l'objet et à l'image. Il y a à chaque fois une ambiguïté, un doute sur la nature de ce qui est représenté. Nous utilisons des matériaux sans les cacher, mais en manipulant les images et les objets pour que leur présence soit toujours intacte et la perception au travail."